Dans le cadre de l'Exposition "Voyages en Egypte de l'Antiquité au début du XXème siècle"   

Notes prises lors de la Conférence tenue le Mercredi 30 avril par M. Jean-Luc Chappaz, égyptologue et conservateur du Musée, sur "l'Egyptologie avant Champollion"

Avant de pouvoir lire les hiéroglyphes, grâce à la découverte de J.F. Champollion, les connaissances se fondent sur 3 sources :

1ère source : ouvrages grecs et latins (Strabon-Hérodote) qui datent de l’époque classique : Il convient de relever la difficulté de les exploiter pour de multiples raisons ; la 1ère est qu’il était de tradition, à l’époque, de recopier les textes des autres dans des buts de synthèse et vulgarisation du savoir. La 2ème est le temps qui fait office de séparateur. Hérodote croit ce qu’on lui raconte et ce qu’il nous rapporte mais c’était il y a bien longtemps que les événements avaient eu lieu … même si c’est moins loin pour lui que pour nous, cela se compte en milliers d’années… Les Egyptiens ont réécrit l’histoire en essayant de la comprendre et ils l’ont ensuite transmise à Hérodote et aux autres qui ont relaté le passé.

2ème source : les « monuments en Exil » : destinés à symboliser la puissance romaine, les obélisques ont été en quelque sorte le symbole de l’ "Imperium". On en profitera pour dire qu’en plus des monuments transportés, il y a des statues qui ont été conçues (mélange de dieux égyptiens et de dieux romains) … peut-être dans le but d’humilier les égyptiens ? D'autres monuments – tels la Villa d’Hadrien » près de Tivoli sont en fait des hommages des empereurs romains  et ont été construits dans un but de recherche philosophique et en reprenant le style originel.

3ème source : la diffusion des cultes - par l’intermédiaire des grecs et surtout à travers les marins. Les cultes et dieux les plus vénérés sont Isis et Harpocrate. Cela se situe au 1er siècle avant et après J.C. et les cultes en question sont très romanisés. Ils sont exportés et essaiment un peu partout en Europe, y compris en Suisse (il convient de relever un temple à la gloire d’Isis près de la ville de Baden). Un lieu de culte (laraire) a également été retrouvé il y a une dizaine d’années dans la villa gallo-romaine de Vallon (FR) près du site romain d’Avenches (Aventicum), dédié à Isis. Au III ème siècle, au Quirinal s'élève un temple en l'honneur de la déesse égyptienne Isis, l'empereur Héliogabale impose l'adoration du dieu Soleil, les gens recourent aux rites magiques pour conjurer la peste. On aurait également retrouvé un sistre à Lausanne (en fait une quarantaine d’objet auraient été retrouvés en Suisse).

 On assiste alors, dès la Renaissance, à une tentative de présentation de l’art égyptien dessiné selon les canons de la beauté et du dessin romain, agrémentée d’une fantaisie hiéroglyphique sur les croquis des obélisques, par exemple.

 On rapporte également des souvenirs d’Egypte (surtout des momies et on en fait des poudres à vertus médicinales….)

 Enfin, des érudits se jettent à l’eau et tentent d’expliquer ce qu’ils comprennent – ou croient comprendre…

Un des premiers est un père Jésuite, Athanasius Kircher (1602-1680). Juste un petit problème : il a une idée préconçue du monde et fait tout pour plier l’Egypte à son idée. Kircher permettra de faire des progrès par le biais de relevés. Il fera beaucoup pour l’étude de la langue copte. Il écrira un dictionnaire sur la langue copte mais jamais ne la mettra en pratique pour déchiffrer les hiéroglyphes. Il écrit également un « traité des hiéroglyphes ». Il tombe sur le cartouche de Thoutmosis III et en donnera une traduction pour le moins farfelue ; le signe « men » devient citadelle, forteresse … Mais il faut lui laisser qu’il aura, 2 siècles avant Champollion, l’intuition que copte et hiéroglyphes sont liés.

A Genève, Firmin Abauzit (1679-1767) tente de reconstituer une carte de la région sans jamais y avoir été. Il ne publie rien mais il existe une correspondance sur la chronologie et la topographie égyptienne.

Les premiers objets égyptiens arrivent à la Bibliothèque de Genève. En effet missionnaires et pèlerins commencent à visiter le pays et à dessiner ce qu'ils voient, et de ce fait, l'Egypte devient familière.

Et arrive l'expédition de Bonaparte (1798-1799). Près d'un millier de suisses sont enrôlés dans l'armée et ils fournissent écrits et témoignages. Le Général Kléber fait effectuer des relevés et publie. Pour la première fois, tout ce qui est à portée des yeux est relevé fidèlement : beaucoup de monde y travaille : des ingénieurs entre autres. Mais il y a un petit problème: quand quelque chose est incomplet... on complète ( en recopiant autre chose par exemple).

C'est aussi la découverte de la fameuse Pierre de Rosette qui passe inaperçue pendant 2 mois; heureusement des copies de la pierre sont effectuées et cela passe dans les bulletins de guerre. C'est ce qui relance les tentatives de déchiffrement.

En 1822, Jean-François Champollion fait la synthèse de tout de qu'il a découvert : comme dans les langues sémitiques,il, n'y a pas de voyelles - les noms des rois sont inscrits dans les cartouches - par la phonétique il établit un parallèle avec le copte.

Notes prises lors de la Conférence tenue le Mercredi 11 juin par M. Jean-Luc Chappaz, égyptologue et conservateur du Musée, sur "les origines de la collection genevoise"

L'origine de la collection genevoise remonte au début du XIXème siècle. En Egypte, c'est la période ou Méhémet-Ali prend le pouvoir et conclut des alliances avec les principaux consuls qui séjournent sur place (France, Angleterre mais également Suède, Norvège, Russie, Hollande ...) Méhémet-Ali pense que l'Egypte doit se tourner vers le futur et a besoin de l'aide des consuls pour la moderniser. C'est la période qui se définit comme "L'Egypte des Consuls". A cette époque, Drovetti est consul de France et c'est un ami intime de Méhémet-Ali. Dès 1815 et jusqu'en 1825, le consul Salt jouera un rôle important en tant que consul britannique. Le consul Drovetti (qui nous intéresse dans le cas présent) est un homme qui en plus de s'occuper de politique, est un aventurier qui fait fortune dans le commerce; il pratique  l'import - export (chevaux, moutons...) et Méhémet-Ali s'appuie sur lui pour commercer également. D'ailleurs, à cette époque on ne s'intéresse pas au passé. Les ruines ont un tout autre intérêt ; il s'agit de matière premières pour les constructions futures. Le calcaire sert à fabriquer de la chaux, le grès du salpêtre, les temples sont dynamités et les blocs ainsi obtenus servent à la construction (pour bâtir entre autre des usines sucrières)

Par contre les consuls ne vont pas tarder à se rendre compte de l'intérêt de la commercialisation des antiquités vers l'étranger et exportent des collections entières. C'est ainsi que Drovetti constituera les collections des musées de Turin, du Louvre, de Berlin. La présence de ces consuls et leur "commerce" permettra ainsi de sauver de la destruction de nombreuses pièces/temples qui étaient démantelés par les habitants pour servir de matériaux de construction. Ce qui apparaît maintenant pour certains comme du pillage a permis de sauvegarder certains trésors. Pour l'anecdote Champollion, lors de son voyage en Egypte vit un temple sur les rives du Nil - du coté d'Esna - et conçut le projet de s'arrêter au retour pour faire des relevés et dessiner les pièces. A son retour, quelques mois plus tard, le temple avait purement et simplement disparu...

A Genève, à l'époque, il n'y a encore que peu d'intérêt pour les pharaons mais un certain Henri Boissier est à l'époque très intéressé par la réputation scientifique de la place de Genève, due aux grands naturalistes de l'époque, et il a besoin de collections d'études. Il a donc pour idée de créer un musée pour centraliser les collections d'études et, en 1818, il crée le Musée académique, qui dépend de l'Académie, l'ancêtre de l'Université de Genève. Dès 1820, les fonds archéologiques de la Bibliothèque publique sont entreposés dans ce nouveau musée. Les dons de mécènes feront le reste; ce n'est guère plus qu'un embryon de collection - quelques momies d'animaux, des papyrus, des "figurines" quelques pièces répertoriées sous les termes "emblèmes" mais c'est un début. Le but du musée n'est pas seulement d'exposer mais il est lié à la recherche dans tous les domaines : la mise à disposition d'échantillons que les gens pourront emprunter et manipuler et l'initiation à la culture. En 1825, il est d'ailleurs procédé à une réorganisation du musée qui sera divisé en 24 "commissariats" : 20 s'occuperont de sciences naturelles et 4 d'autres choses ( 2 de numismatique, 1 d'ethnologie)

L'année 1824 marque l'entrée de l'Egypte dans le musée. Un négociant de Genève, M. Pierre Fleuret, qui vient de passer quelques années en Egypte et qui a bénéficié sur place de la protection de Drovetti rentre d'Egypte et, depuis Marseille, écrit au Dr. Maunoir pour proposer de faire don à Genève d'un sarcophage et d'un grand crocodile empaillé..  Le 17 juillet, dans les comptes-rendus des séances du musée on annonce l'arrivée de la momie. Il s'agit de la momie de la dame Tjesmoutpert, enfermée dans un cercueil en bois stuqué et peint de 178cm qui date de la fin de la 3ème période intermédiaire et qui provient de Thèbes. Le crocodile, lui, se détériorera en Egypte et n'arrivera jamais. Le 14 août, Fleuret arrive à Genève et le 16 on "déshabille" la momie, en compagnie d'invités. On dispose d'un compte-rendu du début des opérations, on décrit, on dessine mais c'est long et il fait chaud...et ce qui est commencé dans les règles de l'art s'achève avec des ciseaux et des marteaux... Mais les savants présents profitent de ces heures pour interroger Fleuret sur l'Egypte, sa faune, sa flore. On apprend ainsi qu'il y avait à l'époque 4 différentes sortes de crocodiles qui vivaient dans le Nil à Louxor.

© Genève, MAH, photo Yves Siza

Le crocodile n'étant pas arrivé et à la suite des discussions sur la faune et la flore, le Comité du musée décide de faire l'acquisition d'une autruche empaillée. On s'adresse à Fleuret qui lui se retourne vers Drovetti. Au début 1825, on trouve une autruche, mais vivante. Le 23 avril 1825 elle quitte Alexandrie mais meurt avant d'arriver à Genève. Drovetti profite de l'occasion pour prier Fleuret de choisir une douzaine de pièces dans ses caisses entreposées à Marseille et en faire don au musée de Genève. Fleuret choisit 6 grandes stèles, 1 papyrus, des vases canopes,  1 momie d'épervier.

Les mécènes du Musée ne veulent pas demeurer en retrait. M. Boissier offre 40 amulettes , M. Favre-Bertrand et les autres se montrent également généreux et à la fin 1825 la collection se monte à 133 pièces. Tous ces objets proviennent de la collection d'objets que Fleuret avait ramenée d'Egypte.

L'histoire de l'autruche n'en reste pas là... Début 1826 le musée commande une 2ème autruche qui arrive vivante et est exposée dans les parcs genevois. Malheureusement, la facture de Drovetti arrive aussi. 3000 Francs de l'époque, soit la moitié du budget annuel du Musée... il faut donc vendre l'autruche - à perte - pour combler le trou. On en trouve une plus tard - déjà empaillée - mais elle tombe en poussière dès 1934... L'Egypte a causé bien des problèmes au Musée Académique de Genève.

Sur ces entrefaites, en octobre 1826, J.F. Champollion fait part de son désir de venir découvrir la collection égyptienne du Musée, lors de l'un de ses déplacements entre Grenoble et Turin. Fraîchement accueilli (catholique chez les Calvinistes juste après le fiasco de l'autruche) il séjournera 2 jours à Genève mais durant son séjour, il entreprendra le catalogue des pièces de Genève. C'est ainsi qu'une trentaine de pièces sur les 133 que comprend le musée seront identifiées et bénéficieront d'un descriptif complet. Il s'agit principalement de stèles et de papyrus.

La fièvre égyptienne retombe. Entre 1825 et 1863, seule une petite centaine de pièces - sans documentation - arrivent dans le musée. Il faudra attendre 1863 et l'arrivée du conservateur Gosse pour que l'évolution reprenne.

 

 

 

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