Pavičić, Jurica « La femme du deuxième étage » » (2022) 238 pages

Auteur : Jurica Pavičić (est un écrivain, scénariste et journaliste croate, né à Split le 2 novembre 1965. Il collabore depuis 1989 en tant que critique de cinéma à différents journaux. Il est l’auteur de sept romans, de deux recueils de nouvelles, d’essais sur le cinéma, sur la Dalmatie et le monde méditerranéen, de recueils de chroniques de presse… Ses nouvelles et ses essais ont été traduits en anglais, en allemand, en russe, en italien et en bulgare. Son roman Les moutons de gypse a été adapté au cinéma par Vinko Brešan, sous le titre Witnesses (Svjedoci), film qui a remporté le prix œcuménique du jury du Festival de Berlin en 2003. Le prix du meilleur scénario a été décerné à Jurica Pavičić pour ce même film au Festival de Pula la même année. (Infos site Argullo)
Romans parus en Français : L’eau rouge (Crvena voda 2017) (11.03.2021) 384 pages – La femme du deuxième étage (Žena s drugog kata 2015)(15.09. 2022) 239 pages – Mater Dolorosa (Mater Dolorosa 2022) (2024)
Recueils de nouvelles : Le Collectionneur de serpents (Skupljač zmija (2019) (2023) – contient les nouvelles Le Collectionneur de serpents, Le Tabernacle, La Patrouille sur la route, La Sœur et Le Héros
Agullo – 15.09.2022 – 223 pages – traduction de Olivier Lannuzel / Points Poche policier 01.09.2023 238 pages
Résumé:
Un soir de janvier 2006, Bruna tombe folle amoureuse de Frane, un beau marin avec qui elle se marie. Le jeune couple emménage au deuxième étage de la maison familiale. Au premier vit la redoutable Anka, la mère de Frane, qui entend bien régner sur son clan. Trois ans plus tard, Bruna est à la prison de Pozega où elle purge une longue peine pour meurtre… Mais qu’a-t-elle fait au juste ? Histoire d’une descente aux enfers.
Mon avis:
Deuxième livre que je lis de cet auteur croate après « L’eau rouge ». Tout aussi percutant. Des chapitres très courts (58 pour 223 pages) une ambiance pesante. Et de nouveau le destin au centre du livre: que ce serait-il passé si ?
Bruna est incarcérée à Požega (prison pour femmes de Croatie) et elle raconte.. On sait dès les premières pages que c’est une meurtrière, mais elle l’est devenue sans l’avoir vraiment décidé, parce qu’elle a suivi sa route, qu’elle a rencontré des personnes et des choses, et que les événements se sont en quelque sorte trouvés sur son chemin…elle a suivi le chemin tracé par le hasard, sans oser exprimer sa volonté, sans faire de choix… Toute sa vie est le fruit du hasard et la conséquence presque logique de son manque d’esprit de décision… Elle subit, elle se fait manipuler, elle est sous emprise, n’exprime pas ce qu’elle pense, n’ose pas dire non… Elle sent bien que sa vie prend une direction dont elle ne veut pas, qu’elle se fait imposer des contraintes dont elle ne veut pas, mais … Et si elle avait dit non ?
La vie de Bruna est la même, un jour après l’autre… que ce soit avant ou pendant la prison…
Les jours se répètent… De fait du jour où elle a rencontré celle qui deviendra sa belle-mère, elle a vécu en prison… Univers familial et univers carcéral… pour elle ils ont beaucoup de points communs … lequel a été le plus difficile à vivre pour Bruna?
Les gens qu’elle côtoie ne sont pas ses meilleurs soutiens mais elle est sa pire ennemie…
Un récit qui prend aux tripes. Un univers sombre, noir, dur, un récit mené sur un rythme lent qui génère le poids de l’angoisse et du malaise. Elle a tué, certes, mais qui est coupable dans cette histoire ?
Extraits:
Quand elle en sortira, elle en aura trente-huit. L’âge où débute la crise du milieu de la vie, où les hommes s’achètent des coupés rouges et les femmes se ruent sur le yoga et le pilates. L’âge où les hommes commencent à tromper leur femme, et où les femmes se demandent si elles n’ont pas commis une erreur quand elles ont lié leur destin à cet âne égoïste et bedonnant avachi sur le canapé.
Elle regardait la mer sombre et froide, ces longues guirlandes d’immeubles socialistes dominant la mer, ces milliers d’alvéoles illuminées où tout un tas de gens vivaient leur vie. Elle regardait ces milliers de points comme des lucioles et pensait à la vie qu’elle-même menait, à la vie qu’elle désirait et à l’avenir qui l’attendait.
Comme dans de nombreux villages qui se meurent, le cimetière était la seule chose qui soit entretenue et fleurie.
Le piège se referma lentement, comme un poisson qui entre dans une nasse et croit encore un moment qu’il nage dans la mer en liberté.
Elle était comme une pierre jetée à l’eau, qui donne à voir encore quelque temps quelques vagues concentriques, avant que la surface se calme. Et que les entrailles se referment.
Le monde n’est qu’une suite rectiligne de dominos mettant à bas d’autres dominos, eux-mêmes abattant les suivants, sans autre alternative. Ils tombent les uns après les autres, dans un corridor à sens unique, sans fenêtre ni bifurcation possible.
Le même délit, sauf que Mejra a pris plus cher. Mejra, c’est quand même une Tsigane.
Cela a commencé comme ça. Et puis une chose en a entraîné une autre, inexorablement et irrévocablement, comme dans les vieux magazines de couture où les ciseaux n’ont qu’à suivre la ligne tracée des patrons.
C’est toujours elle, elle est la même. Mais c’est comme si on l’avait recouverte d’un film flétri. Comme si, pense-t-elle, on m’avait passée au papier émeri.