Cayre, Hannelore « Les doigts coupés » (2024) 192 pages

Autrice : Hannelore Cayre est une romancière, scénariste et réalisatrice française, née le 24 février 1963 à Neuilly-sur-Seine1. Elle est également avocate à la cour d’appel de Paris en tant que pénaliste et collabore à la Revue XXI.
Après sa série Christophe Leibowitz, elle publie en 2012 Comme au cinéma – Petite fable judiciaire. En 2017, « La Daronne » obtient le Prix Le Point du polar européen et sera adapté au cinéma. En 2020 elle publie « Richesse oblige » et en 2024 « les Doigts coupés ».
(Prix du noir historique 2020 – Les rendez-vous de l’histoire de Blois pour Richesse oblige)
Editions Métailié noir – 08.03.2024 – 192 pages / Points Poche – 28.03.2025 –
Résumé:
En découvrant le squelette d’une femme dans une grotte, la paléontologue n’a pas seulement mis au jour une sépulture vieille de 35000 ans, mais également la première scène de crime de l’Histoire. Quelle révélation est allée colporter Oli, cette femme venue du fond des âges, entraînant à sa suite l’humanité dans un chaos irrémédiable ? Qu’a-t-elle voulu nous dire en plaçant l’empreinte de sa main mutilée au centre de cette fresque de la douleur et de l’impuissance ? « Regardez donc ce qu’ils m’ont fait » ; « Regardez, ce qu’ils nous ont fait subir à nous toutes ! » Oli veut être une chasseuse car la chasse est interdite aux femmes.
Comme toutes les héroïnes de l’auteur, elle est portée parle même vent de liberté et elle revendique avec une âpre autorité et un humour caustique son droit au bonheur. D’une plume hilarante et acérée comme la lance de sa chasseuse, Hannelore Cayre mène le lecteur ravi au coeur de la préhistoire sur les traces de nos origines et joue avec notre avidité à écouter des histoires.
Mon avis :
Hannelore Cayre est une autrice que j’aime énormément et j’ai lu tous les romans qu’elle a écrit. J’adore son humour et une fois encore cet humour est bien présent. Elle ne m’avait pas habituée à pareil voyage dans le temps. Et j’ai adoré ce roman qui montre que la domination des hommes sur les femmes a toujours existé mais que les femmes se sont révoltées de tous temps. J’ai aimé les relations entre les personnes, le rapport à la nature, la curiosité, les inventions, l’intelligence, la solidarité, la réflexion sur les comportements humains.
Avec elle on découvre une grotte, une sépulture, en creusant pour se faire une piscine… Avec deux corps, des empreintes de mains avec des doigts et des phalanges manquantes (uniquement des mains de femmes) …
Et surtout on va découvrir la préhistoire vécue au féminin, il y a 35000 ans, pendant la période de l’Aurignacien. L’Aurignacien c’est l’âge d’or de la deuxième remontée d’Afrique des homo sapiens.
Deux points de vue s’entre-mêlent : le point de vue des anthropologues actuels, avec la conférence qui suit la découverte de la grotte et le récit de Oli, il y a 35000 ans..
« La ligne c’est l’homme, la femme c’est le cercle, c’est là l’Ordre du monde. » Et bien.. pas si sûr…
Oli – le squelette femme de la grotte – raconte son univers, la société matrilinéaire dans laquelle elle vit, la vie avec ses soeurs, les mutilations, sa tribu, la rencontre avec une une autre race ( oui on peut ici parler de race): la tribu de Oli est homo sapiens et elle va rencontrer des homo neandertalensis, et je puis vous assurer que c’est carrément pas le même modèle! Par la voix d’Oli on va comprendre ce que racontent les traces découvertes dans les grottes des femmes-ancêtres et en connaitre davantage sur la culture aurignacienne, sur la vie, sur la taille des silex, sur les armes, les méthodes de chasse, les avancées en matière d’armement et de connaissances…
Oli est une révoltée, une féministe avant l’heure, qui ne comprend pas pourquoi on la traite différemment des hommes, et surtout de son jumeau qui est attardé.
Les rencontres entre Oli et les autres humains qu’elle va rencontrer vont lui ouvrir le regard sur le monde. Elle va voir que ce qui est vrai dans sa tribu n’est pas la réalité des autres. Oli va entreprendre un périple et plus elle va avancer, plus la vie va être complexe. Elle va découvrir le mystère de la naissance, les ravages du sexe, de la violence…
J’ai beaucoup apprécié le rapport aux pierres, ces pierres qui jalonnent la vie, qui parlent, qui sont les jalons d’un parcours … ces pierres de différentes formes, dessins, couleurs, ces images qui sont en quelques sorte son parcours de vie, qui forment son album de photos personnel et ses souvenirs.
Je dois reconnaitre que moi aussi j’en ramasse … comme parfois des coquillages ou du sable …
Ce livre est à la fois le récit de la vie lors de la préhistoire, une vraie description documentée de cette époque peu connue, la lutte des femmes pour leurs droits … et l’envie d’en apprendre davantage (il y a une liste d’ouvrages de référence à la fin du roman)
Extraits:
Car la préhistoire, cette page blanche de l’humanité, cet éden fantasmé – encore plus depuis que tout va de travers –, captive le monde entier et par conséquent draine des flux financiers énormes. –
Nos traces s’accumulent ici depuis qu’une de vos arrière-arrière… arrière-grands-mères a eu la première l’idée de raconter dans la pierre son sacrifice.
Les hommes ; quelle plaie.
Pourquoi occupaient-ils tout le temps l’esprit des filles alors qu’avec leur odeur, leur sexe pendouillant et leur regard concupiscent de bête en rut, ils étaient dégoûtants ? Elle observait les mains du Crétin malaxer les seins de sa sœur, sa langue pénétrer dans sa bouche et ce mélange des corps qu’elle trouvait pourtant infect lui faisait inexplicablement de l’effet.
“On ne s’en rend jamais compte sur le moment, quand on est heureux, du coup on ne pense pas à faire des réserves de bonheur pour les moments difficiles, comme on le ferait avec la viande séchée en prévision des jours où il n’y a plus rien à manger.”
Comment une personne qui prenait autant de place dans la vie de toute la tribu pouvait-elle disparaître en quelques instants ? Et si c’était justement cette question qui avait poussé les femmes-ancêtres à exécuter le pochoir de leur main dans la grotte ? Laisser une trace pour ne pas mourir tout à fait. Faire en sorte que leur présence traverse le temps accrochée à la pierre, qui, elle, était éternelle.
– Pourquoi est-ce qu’on a toujours moins à manger que vous alors que ça devrait être l’inverse, vu que celles qui attendent un bébé ou qui allaitent doivent se nourrir pour deux et que les autres doivent partager avec leurs enfants ?
On notera que nos lointains ancêtres du paléolithique, alors qu’ils maîtrisaient pourtant parfaitement le dessin, la technique de l’estompe et du mouvement, comme en témoigne le magnifique bestiaire naturaliste de la grotte Chauvet, ne nous ont légué aucune représentation d’eux-mêmes.
On a donc cherché délibérément à figer son visage dans la pierre. À littéralement le pétrifier comme s’il avait croisé le regard de méduse – la puissance du féminin ; symbole de rage et de pouvoir.
Les parures comme les tatouages, les vêtements ou la peinture corporelle constituent, depuis le début de l’humanité, les signes sociaux les plus forts des relations visuelles entre individus.
Depuis que j’ai quitté les miens, je ne me suis jamais autant sentie moi ; juste vivante et libre dans l’écoulement des jours et la succession de mes pas. Et j’aime beaucoup ça, être moi !
… quand tu en choisis une sur le sol, c’est parce qu’elle te parle à toi. Après, tu racontes aux autres ce que tu y vois, mais souvent ça ne reste pour eux qu’un simple caillou. Toutes celles-là contiennent des impressions qui ne sont pas faciles à transmettre.
On peut aller plus loin en affirmant que la collection est le propre de l’homme : une façon d’archiver symboliquement sa relation au monde.
Quoi qu’il en soit, ceux qui ont aménagé cette sépulture ont considéré qu’il était important que cette collection accompagne la défunte par-delà la mort, comme si le sens à donner à ces pierres n’appartenait qu’à elle.
2 Replies to “Cayre, Hannelore « Les doigts coupés » (2024) 192 pages”
Impossible de résister à un roman de Hannelore Cayre. Je suis fan de son humour caustique et de son style acerbe.
Dans ce conte préhistorique, l’auteure de La Daronne fait de l’adolescente rebelle Oli la première féministe de l’histoire de l’humanité et explique pourquoi, alors que tout allait bien dans le meilleur des mondes, les hommes ont commencé à se faire la guerre. Et le pire, c’est que sa théorie se tient ! Mais pour en savoir plus, je ne peux que vous convier à lire ce court récit aussi drôle qu’original.
Tout comme toi, je les ai tous lus. J’aime son humour.