Padura, Léonardo « Adiós Hemingway » (2001) 182 pages
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Auteur: Leonardo Padura, né Leonardo Padura Fuentes le 9 octobre 1955 à La Havane, est un journaliste, scénariste et écrivain cubain, auteur d’une dizaine de romans policiers et lauréat du prix Princesse des Asturies en 2015.
Il amorce sa carrière de romancier en 1988 et devient l’auteur d’une série policière ayant pour héros le lieutenant-enquêteur Mario Conde.
Romans
Série Mario Conde
Les quatre premier volumes font partie du Cycle Les Quatre Saisons : – Passé parfait 2000 (Pasado perfecto (1991) -Vents de carême 2006 (Vientos de cuaresma 1994) -Électre à La Havane 1998 (Máscaras 1997) – L’Automne à Cuba 1999 (Paisaje de otoño 1998) – Mort d’un chinois à La Havane, 2001 (La cola de la serpiente 2000) – Adiós Hemingway 2004 (Adiós Hemingway 2001) – Les Brumes du passé 2006 (La neblina del ayer (2005) – Hérétiques 2013 (Herejes 2013) – La Transparence du temps 2019 (La transparencia del tiempo 2018) – Ouragans tropicaux 2023 (Personas decentes 2022)
Autres:
– Le Palmier et l’Étoile 2003 (La novela de mi vida (2002), roman policier historique ayant pour héros le poète José María Heredia
– L’Homme qui aimait les chiens 2011 (El hombre que amaba a los perros (2009), un récit-roman de la vie de Ramón Mercader, l’assassin de Léon Trotski, de ses débuts pendant la guerre d’Espagne à ses dernières années à La Havane, vu par un écrivain cubain
– Poussière dans le vent 2021 (Como polvo en el viento (2020), portraits croisés de huit amis soudés depuis la fin du lycée et confrontés aux transformations du monde et de leurs conséquences sur la vie à Cuba)
Editions Métailié, coll. « Suite hispano-américaine » 2013 – 09.01.2023 – 150 pages / réédition Points Policier – 22.03.2007 – 182 pages ( René Solis Traducteur)
Résumé:
Mario Conde a quitté la police cubaine pour se consacrer à l’écriture et au commerce des livres anciens, secteur très florissant dans La Havane dont la décadence se poursuit inexorablement.
Dans le jardin de la maison-musée d’Ernest Hemingway, on déterre un cadavre portant l’insigne du FBI. Ce cher Ernest serait-il l’assassin ?
Pas facile d’enquêter après tant d’années, surtout sur un écrivain de cette stature, qui vous inspire des sentiments ambigus d’admiration et de haine. Mario Conde, l’ancien flic, prend son courage à deux mains et exhume le souvenir de ce monstre sacré, généreux, odieux, inoubliable.
Mon avis:
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman de Padura. Soyons clair, ce n’est pas de la trempe d’ « Électre à La Havane » mais c’est un prétexte pour retrouver Mario Conde. Conde qui a quitté la police et est devenu écrivain et un peu détective privé.
L’’idée de ce livre est venue suite à une demande de participer à une série de romans.Dans la préface Padura nous l’explique « mon éditeur brésilien m’a demandé de participer à la série “la littérature ou la mort” ; si j’acceptais, je devais leur communiquer le nom de l’écrivain autour duquel le récit se déroulerait.
C’est surtout l’occasion d’en savoir un peu plus sur Ernest Hemingway et sa période cubaine .
Alors nous voici dans une intrigue imaginée qui tourne autour d’Hemingway avec Conde pour acteur principal. Un squelette, une plaque du FBI retrouvés dans le jardin de la demeure d’Hemingway, dans les racines d’un arbre déraciné par un orage tropical; un squelette qui est là depuis longtemps. Un prétexte pour ouvrir une enquête et la confier à Conde. Conde va donc enquêter, mais plus sur la vie de l’écrivain que sur le potentiel coupable.
Conde enfant avait rencontré Hemingway sur la plage alors qu’il se promenait avec son grand-père et au fil des ans il a appris que l’écrivain était tout sauf une bonne personne.
Ce que j’ai aimé dans ce court roman n’est évidemment pas l’enquête – qui sert de prétexte – mais les scènes qui ont vraiment fait partie de la vie de l’écrivain, comme celles mettant en scène Ava Gardner dans la piscine… Et les évocations des endroits que j’ai tellement aimé en visitant la Havane, comme le Malecón , le bar du Floridita … Et comment est née l’inspiration pour ses différents récits.
Mais le moins que je puisse dire c’est que le roman ne m’a pas rendu Hemingway plus sympathique que dans mon souvenir !
Vivent les hémingwayens cubains ! Vive le rhum !
Extraits:
J’adorerais découvrir que c’est Hemingway qui a tué ce type. Cela fait des années que ce salopard me casse les couilles. Mais cela me ferait chier qu’on lui flanque sur le dos un cadavre avec lequel il n’a rien à voir.
Ces pêcheurs, auxquels Hemingway les mauvais jours offrait le produit de sa propre pêche dans des eaux plus propices, auxquels il avait offert un travail payé à son juste prix au moment du tournage du Vieil Homme et la mer, avec lesquels il avait bu des bières et du rhum payés par lui, et dont il avait écouté en silence les récits de capture d’énormes poissons pêchés dans les eaux chaudes du grand fleuve bleu, ressentaient ce que personne au monde ne pouvait ressentir : pour eux, c’était un camarade qui était mort, ce qu’Hemingway n’avait jamais été ni pour les écrivains, ni pour les journalistes, ni pour les toreros ou pour les chasseurs blancs d’Afrique, ni même pour les miliciens républicains espagnols ou pour ces maquisards français au-devant desquels il était entré dans Paris pour fêter de façon aussi joyeuse qu’arrosée la libération de l’hôtel Ritz de la domination nazie…
Il savait que son imagination avait toujours été mince et trompeuse, et que seul le récit des choses vues et apprises lui avait permis d’écrire ces livres capables de résumer l’authenticité que lui-même exigeait de sa littérature.
Il cherchait quelque chose de plus lointain, qu’il avait déjà pourchassé dans le passé et qu’un beau jour, des années auparavant, il avait cessé de chercher : la vérité – ou peut-être le mensonge vrai – sur un homme qui s’appelait Ernest Miller Hemingway.
Mais maintenant, tu es un détective privé. Ça fait drôle, non ?
– Putain, tu l’as dit, dit le Conde en essayant d’encaisser cette nouvelle définition. Donc, d’après toi, je suis un salopard de privé…
– Et alors, Marlowe, tu es passé à côté de quoi d’autre ?
Le Conde essaya d’imaginer le fonctionnement de son cerveau pré-informatique, forgé au XIXe siècle, antérieur au cinéma, aux avions et au stylo-bille.
Mais à présent, il le savait, il était un foutu détective privé dans un pays sans détectives ni rien de privé, c’est-à-dire la mauvaise métaphore d’une étrange réalité : il était, il devait l’admettre, un pauvre type de plus, vivant sa petite vie dans une ville remplie de types ordinaires et d’existences anodines, sans aucun ingrédient poétique et tous les jours un peu plus dépourvus d’illusions.
les préjugés étaient comme des échardes dans les mains et les certitudes s’accompagnaient d’un hérissement de l’estomac, comme une piqûre gênante. Mais les deux sensations étaient comme des graines, qui ne se transformaient en pressentiments douloureux que lorsqu’elles tombaient en terrain fertile.
Le type ne pigeait rien à rien. Ou il s’en foutait de comprendre, je ne sais pas.
Photo : Finca Vieja (demeure d’Hemingway à Cuba)