Stresi, Alexia « Des lendemains qui chantent » (RLH2023) 448 pages

Stresi, Alexia « Des lendemains qui chantent » (RLH2023) 448 pages

Autrice: actrice, scénariste et romancière française née le 11 septembre 1971 à Nantes. Elle est la compagne de François Berléand depuis 2004.

Romans: « Looping » (2007- sélection finale du prix Goncourt du premier roman) – Batailles (2021) – Des lendemains qui chantent (2023)

Flammarion – 01.02.2023 – 448 pages / J’ai lu – 06.03.2024 – 539 pages

Résumé:

Paris, 1935 Lors de la première du Rigoletto de Verdi à l’Opéra-Comique, un jeune ténor défraie la chronique en volant la vedette au rôle-titre. Le nom de ce prodige ? Elio Leone. Né en Italie à l’orée de la Première Guerre mondiale, orphelin parmi tant d’autres, rien ne le prédestinait à enflammer un jour le Tout-Paris. Rien ? Si, sa voix. Une voix en or, comme il en existe peut-être trois ou quatre par siècle. 

Cette histoire serait très belle, mais un peu trop simple. L’homme a des failles. D’ailleurs, est-ce vraiment de succès qu’il rêvait ? En mettant en scène avec une générosité folle et une grande puissance romanesque d’inoubliables personnages, Alexia Stresi nous raconte que ce sont les rencontres et la manière dont on les honore qui font que nos lendemains chantent et qu’on sauve sa vie.

Mon avis: ❤️❤️❤️❤️❤️

Enorme coup de coeur !
« Que chantent les lendemains » disait Aragon… Les lendemains ont chanté pour le jeune Elio Leone, orphelin, ténor à la voix fabuleuse qui était déjà extrêmement bruyant dès sa naissance.
Ce personnage à la fois fort et fragile est extrêmement attachant, par ses failles et ses faiblesses, par sa rage de vivre, son acharnement à poursuivre l’excellence, et à croire en ce qu’il aime…la musique, la vie, Dieu, Verdi, Mademoiselle Renoult ( sa professeure de rôles et non de chant comme il dit) , Fernande (son amour) .

La vie d’Elio est faite de rencontres :
– il va voyager en Italie d’abord, puis dans le monde. Il quitte son village de naissance pour l’orphelinat, rencontre le Dr. Giuseppe Tropeano (les Giuseppe – Tropeano et Verdi – sont importants dans sa vie) séjour à Marechiaro ( quartier de Naples) puis départ pour l’île de Zanolla où il intègrera la chorale du Padre Bizzo, apprend à lire tout seul, avec les partitions. Le Padre Bizzo qui croit en sa foi, sa foi musicale plus que sa foi divine… Puis il va à Naples, au  Conservatoire.
Il quitte l’Italie pour  Paris: rencontre avec Mademoiselle Renoult ( sa professeure de rôles et non de chant comme il dit) , Fernande (son amour), puis quitte Paris pour faire la guerre : et les années de stalag s’enchainent; Il va vivre bon nombre de situations injustes. Lui qui est naturalisé français ne reçoit pas ses papiers à temps et va être envoyé à la guerre comme italien, alors que les italiens sont considérés comme des « saletés de fascistes » ; il échappe de peu à la Sibérie… et lors de sa libération, à son retour à Paris, l’injustice continue… Il se rend compte qu’il s’est raccroché à des mensonges, à des illusions… Et il devient mort de l’intérieur, vide; vide d’espoir, vide de musique, plein de vide et de silence… Pourra-t-il se relever ? 

Enfin il prend la mer, se retrouve à Haïti, rencontre le sorcier Clairvius, retrouve la musique… Et Mademoiselle revient dans sa vie par-delà la mort, et lui apporte la renaissance, l’amitié ..
Et que d’émotions à la fin du livre…à tous les niveaux… 

C’est le voyage d’Elio mais c’est aussi une plongée dans le musique, dans l’Opera.. et j’ai été happée tant par les personnages que par le contexte musical et historique. Que de délicatesse, de tendresse, de sentiments et d’émotions à fleur de peau…

(J’ai également découvert l’histoire du théâtre national de l’Opéra-Comique, appelé aussi « salle Favart » ( j’ai été me documenter sur la page Wikipédia et son existence relève du miracle après tout ce qu’il a traversé depuis sa création en 1714, sous le règne de Louis XIV) 

Extraits:

Avoir gain de cause n’aura ensuite été qu’une amusante promenade de santé. Il a suffi de respecter les trois règles d’or. Savoir dès le début ce que l’on veut, ne jamais montrer ses cartes avant l’instant de faire tapis et donner à ces messieurs l’illusion que ce sont eux qui sont aux commandes.

« Wagner est un suppôt du nazisme », tonnaient les anti. « Sa musique est universelle », rétorquaient les pro. L’antisémitisme aussi, ajoutait quelqu’un. 

Sa voix n’était plus qu’un dedans qui cherchait son dehors. Nous, qui avions été bouleversés d’entendre battre un cœur, à présent nous le voyions naître. 

Elle est passionnante pour expliquer les enjeux du livret. Ce qui est dit et ce qui ne l’est, ce que racontent les paroles et ce que racontent les notes de musique. Ce n’est la même chose ! Parfois, il y a contradiction entre le texte et la partition. Après, on fait le travail de préparation pour comprendre les personnages. Qui est Nadir ? Qui est Manrico ? Quels sentiments ils ont ? Quels espoirs ? Leur relation avec les femmes, avec les pères, avec le pouvoir et aussi avec la liberté. Dans l’opéra, la liberté est une chose difficile. Pareil dans la vie, non ? 

Les souvenirs n’ont pas toujours l’élégance de prévenir. On est là, tout adulte, c’est ce qu’on croit, rangé bien comme il faut à l’intérieur, et d’un coup l’enfance vous envahit la tête. 

Mettre un pied devant l’autre lui apprenait le rythme, le vide, l’intériorité. Crapahuter dans l’île donnait conscience d’avoir un corps, sensation d’en jouir, illusion d’infini. La déambulation protège. Elle calme. Tiens, comme s’asseoir dans une église, à cette nuance près que la marche a l’avantage sur la prière de défouler en prime.

On avance seulement comme ça, pas vrai, en visant toujours plus haut. Et puis vu d’où il est parti, que voudrait dire échouer ? Ça ne se peut pas. Le plus grand danger, il l’a couru en venant au monde. Tout le reste, depuis, c’est du bonus. Elio en est convaincu, il ne risque plus rien. Regarde vers le sommet, il en restera toujours quelque chose, se répète-t‑il. 

En cas d’urgence, arrêter de réfléchir. Appeler Giuseppe à l’aide. Pas Giuseppe Tropeano, l’autre Giuseppe, Giuseppe Verdi. Aux grands maux, les grands remèdes. « Un pied dans le passé, l’autre dans le présent, et la tête tournée vers le futur », les mots mêmes du maître.

Ne l’oublions pas, l’oreille et la phonétique sont aussi l’apanage des perroquets. Ce qui nous distingue d’eux, c’est la grammaire. 

L’opéra n’est pas répétition, c’est création. D’où l’importance de se connaître, de parler des langues étrangères et surtout d’avoir trouvé la sienne. La vraie, celle qui vient des profondeurs.

Acier trempé en apparence, lave à l’intérieur, le point d’équilibre magique du ténor.

À l’opéra, comme en amour, l’italien est plus musical, y a pas.

« Le temps est une chose étrange. Quand on vit sans y penser, ce n’est rien du tout. Mais soudain, on ne sent plus rien d’autre que lui. »

Quelle délivrance, quand retentissent enfin les « toï toï toï ». C’est la tradition d’avant-lever de rideau. Les acteurs de théâtre se disent « merde », les chanteurs lyriques « toï toï toï ». Paraît que ça porte chance. 

Elio contemple les planches, celles qu’il vient, paraît‑il, de brûler, et il s’allonge dessus. Déjà petit, il faisait ça. C’était sur de la paille, du sable, ou des rochers chauffés par le soleil. Il appelait cela prendre racine.

Le bonheur, soit il se refuse, soit il a fui, ou bien on nage dedans.

Il faudrait pouvoir vivre à l’intérieur de la musique, savoir s’y réfugier et y rester comme dans une bulle. Des notes, seulement des notes, partout de la beauté.

Un soldat a beau rentrer entier, il a le droit de chercher partout ses morceaux.

Au fond, de quoi meurt‑on ? On peut évidemment mourir de la guerre. Plus rarement d’en être revenu, se dit‑il. 

Ce n’est pas de tromper qui est grave. Mais de torturer avec un faux espoir.

La Terre a sans doute l’intention de continuer à tourner. Tant mieux pour elle. Mais ça se fera sans lui. C’est étrange, comme état. Une journée chasse l’autre, sans différence entre elles. Il n’en attend plus rien. Fini, ce temps-là. Il vit comme font les bêtes, ni mieux ni plus mal. La nuit l’arrête où il se trouve. S’il y a un ruisseau, il boit. Une pomme dans l’arbre, il mange. Son cœur a cessé de battre, c’est toujours ça de réglé. Le cerveau, non. Lui n’est pas tout à fait froid. Dedans, un fatras d’images et de souvenirs déchirés s’agite encore. Comment chasse-t‑on un visage de sa mémoire ? Comment y faire taire une voix ?

Tu es mort, Elio, tu es mort, Elio, tu es mort, Elio…
La phrase s’est plantée dans son crâne comme une écharde. Elle y passe en boucle.

Ça y est, la douleur l’a repris. Il n’y a qu’elle pour être aussi fiable.

La mer, impossible de s’en lasser tant elle est imprévisible. Les hommes, pareil. En chacun, il y a toujours un petit quelque chose à découvrir.

N’obéis pas à tes ennemis, ne les laisse pas diriger ta vie.

« La scène, c’est la vie », répond-il sans ouvrir les yeux. « Mais la vie, ce n’est pas seulement du théâtre. Ça mouille. »

Vocabulaire:

Une manécanterie désigne, à partir de la fin du XIXe siècle, un type particulier de chœur d’enfants d’abord composé de garçons, rattaché à une cathédrale ou à une paroisse importante. Le chœur est géré par le clergé.

Image : la Scala (Milan)

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