Vermette, Katherena « Les filles de la famille Stranger » (RLH2025) 464 pages

Vermette, Katherena « Les filles de la famille Stranger » (RLH2025) 464 pages

Autrice : Née le 29 janvier 1977, Katherena Vermette est une autrice canadienne qui a grandi à Winnipeg, la capitale du Manitoba. Ballades d’amour du North End, son premier recueil de poésie, a remporté le Prix du Gouverneur général en 2013. Elle publie son premier roman, « Les Femmes du North End« , lauréat de plusieurs prix au Canada. Elle écrit également pour la jeunesse et a réalisé un court métrage documentaire intitulé This River. Elle publie ensuite les romans  « Les filles de la famille Stranger«  2025 (The Strangers 2021) , The Circle (2023, novel) Real Ones (2024, novel)- – Prix du Gouverneur général poésie de langue anglaise (Canada): pour North End Love Songs en 2013

Albin-Michel – Terres d’Amérique – 05.02.2025– 464 pages (traduit par Hélène Fournier) – Édition originale canadienne parue sous le titre : The Break (2016) – traduit en français sous le titre Les Femmes Stranger par Mélissa Verreault, Montréal, (Québec), Canada, Éditions Québec Amérique.
(couronné par le Margaret-Atwood Gibson Prize)

Résumé :
Margaret, Elsie, Phoenix, Cedar : quatre femmes, mères et filles, issues de la communauté amérindienne du North End, un quartier défavorisé de Winnipeg, Manitoba. Quatre membres d’une même famille, les Stranger, chacune hantée par ses propres démons. Quatre personnages qui cherchent désespérément la lumière.
Dans cette fresque poignante, Katherena Vermette immerge le lecteur dans l’univers mouvant d’une lignée de femmes autochtones, dessinant la force de leurs liens, la souffrance héritée du passé et l’espoir de briser enfin la fatalité.
Exploration saisissante des problèmes raciaux et sociaux autant que des traumatismes intergénérationnels, Les Filles de la famille Stranger, couronné par le Margaret-Atwood Gibson Prize, confirme le talent d’une voix singulière de la littérature canadienne contemporaine.

« Une plongée d’une beauté dévastatrice dans l’histoire de deux sœurs et de leur famille. » Quill & Quire

Mon avis : ❤️❤️❤️❤️❤️

Je dois dire que plus ça va ,plus je suis fascinée par les auteurs/autrices amérindiens et la culture amérindienne, que la collection Terres d’Amérique m’a fait découvrir. Tout comme dans « Les Femmes du North End » la galerie des personnages féminins broyés par la vie et la société est décrite de façon exceptionnelle. Quatre générations de filles Stranger, et coté garçons, trois bons à rien.
Je recommande vivement de bien regarder l’arbre généalogique du début du livre car parfois il n’est pas simple de s’y retrouver !
De fait l’histoire couvre quatre générations : celle de l’arrière grand-mère Angelique (Annie), celle de la grand-mère Margaret, celle d’Elsie et de ses trois filles d’Elsie (en fait des deux survivantes: Phoenix l’ainée, Cedar qui vient ensuite et la petite dernière Sparrow, qui est décédée);
Margaret  est devenue violente à force de devoir dès toute jeune assumer toute la famille : sa mère, son mari, ses deux bons à rien de fils et sa fille Elsie, les enfants de celle-ci (Phoenix)… En plus d’avoir été obligée d’ abandonner ses études alors qu’elle était en fac de droit – une exception pour une fille de sa communauté – elle se retrouve avec toute la famille sur le dos !
Elsie galère depuis toujours : entre drogue et tentatives de désintoxication ; elle ne s’est jamais entendue avec sa mère Margaret mais était profondément attachée à sa grand-mère Annie; elle ne se remettra jamais de la mort de sa petite dernière Sparrow à l’âge de huit ans. Son ainée Phoenix vient d’accoucher d’un petit garçon qui lui a été retiré à la naissance et elle est détenue dans un centre de détention pour mineurs , et Cedar Sage – celle du milieu) va aller vivre chez son père – Shawn -(et sa femme Nikki) dans une maison luxueuse. Mais le fait d’être dans cet environnement ne la rend pas heureuse, loin de là même si c’est une belle opportunité de faire des études, de réussir dans la vie.
Phoenix est de loin le personnage qui m’a le plus touché ; elle est à vif . Pour elle la relation avec sa soeur est très importante même si elle joue toujours à la fille blindée. Elle est violente, mais surtout dépressive …
Les personnages forment une famille, mais si on y pense bien, cette famille n’a de famille que le nom… Ils sont tous séparés; en effet comme on a retiré la garde des enfants à Elsie et à Phoenix… les liens sont distendus. Et Phoenix étant incarcérée, elle a du mal aussi garder le contact avec sa soeur.. Les enfants sont déplacés de famille d’accueil en foyer et c’est difficile de se construire dans ces circonstances. Surtout quand on creuse un peu le contexte familial qui est composé de drogue, incarcération, pères absents ou inconnus, contexte dans lequel on peut ajouter le racisme, le fait de ne pas être accepté car on est sang-mêlé… Difficile de vivre dans cette ambiance de peur, de rage, de violence contenue, de dépression, de misère, de manque d’espoir en l’avenir, de défaitisme, de solitude, de manque de confiance en soi et en les autres… Même si on veut s’en sortir et s’accrocher… il faut pouvoir s’accrocher à quelque chose…
Mais même sans ce contexte, il y a la volonté de survivre, de retisser les liens avec le passé, avec la famille explosée, le besoin de se rapprocher des siens malgré la distance, malgré les difficultés et les ruptures… Il y a des liens qui actent des générations et les rapports grands-parents/enfants sont forts. Pour ce qui est des personnages masculins, mis-à-part l’oncle, et à la fin le père de CedarSage qui essaie de se rapprocher de sa fille, ilm y a bien peu de positif… 

Une petite allusion aussi à la culture avec les légendes, les histoires de windigos et de rougarous, le pouvoir de guérison des histoires, l’importance du nom indien et les obligations qui s’y rattachent. 

J’ai retrouvé le prénom anishinaabe Cedar, déjà croisé dans le roman de Louise  Erdrich, «L’Enfant de la prochaine aurore »
De plus ici le prénom complet est Cedar Sage qui allie la sauge au cèdre.

Un grand merci à Francis Geffard et Albin-Michel – Terres d’Amérique pour cette découverte et leur confiance. 

Information sur le prénom:
Pour les Anishinaabe, le cèdre est l’une des quatre médecines sacrées, avec le tabac, la sauge et le foin d’odeur, et est utilisé à des fins médicinales, spirituelles et culturelles. Le cèdre est utilisé dans les cérémonies de purification, de guérison et de protection. Lorsque le cèdre est mis dans le feu avec du tabac, il crépite. Ce faisant, il attire l’attention des esprits sur l’offrande qui est faite.
La sauge est utilisée pour préparer les gens aux cérémonies et aux enseignements. Elle est utilisée lors du smudging pour purifier l’esprit des pensées négatives d’une personne ou d’un lieu. Elle a également d’autres usages médicinaux.
La sauge représente la direction de l’Ouest. La sauge est utilisée par les peuples originels pour faire leurs prières et pour signaler à la création que l’on a besoin d’aide. Il existe de nombreuses variétés de sauge et toutes sont efficaces pour la purification.

Extraits:

Phoenix était contente que ce soit un garçon. La vie était plus facile pour les garçons. Ils avaient pas à se battre pour tout. Ils inspiraient le respect du fait même d’être des mecs. Les filles, elles, devaient constamment se donner du mal pour se faire respecter, et elles y parvenaient jamais vraiment. 

La porte se referme lentement derrière elle. Ici, les portes ne claquent pas. Elles se ferment lentement, comme dans un soupir.

Le brouillard est épais et le givre a couvert les arbres de blanc. Phoenix a toujours adoré cette période de l’année, quand le monde ressemble à une carte de vœux. 

– Maarsii. C’est bien de parler le mitchif. On devrait tous le parler, tout le temps. Pour que cette langue vive. Tu connais d’autres mots ?
Elle secoue la tête. Croit se rappeler un truc puis oublie. « Je parle un peu ojibwé. Mieux que le mitchif.
– Ah oui ? Moi aussi. Un peu. Mieux que le mitchif car davantage de gens l’utilisent. Je suis Métis du côté de ma mère, et comme elle me parlait en mitchif, je tiens particulièrement à cette langue. La langue du cœur, me disait-elle. Tu sais ce que ça signifie ?

Rien brise mieux un silence gêné qu’un « tu te rappelles quand… ». Elle se demande si ça aussi c’est propre aux Métis. Le fait de toujours parler du bon vieux temps. Qui n’était d’ailleurs pas bon. Juste vieux. Et partagé.

Mais le ressentiment est quelque chose qui grandit, d’abord léger, il était devenu violent.

Le rougarou représente notre colère. Le windigo, ce qui débloque dans notre tête. Certaines personnes pensent que les histoires de windigos parlent de maladie mentale. Jadis, dans les villages, il y avait des gens qui chassaient ces monstres.

J’ai toujours été triste, d’une certaine façon. C’est une tristesse qui a durci comme la surface d’un flan qu’on tarde à manger. J’ai une espèce de croûte sur moi. Je la sens. Je suis quasiment sûre que tout le monde la voit. C’est pour ça que la situation est telle qu’elle est. C’est pour ça qu’on m’évite.

Ma sœur. »
Ces deux mots prononcés pour la seconde fois suffisent. Ils font tout voler en éclats. La peur s’envole. C’est Phoenix. Juste Phoenix. Qui elle est importe plus que ce qu’elle a fait, que ce que les gens disent d’elle. En tout cas pour moi. Peut-être uniquement pour moi.

La dépression, c’est comme une sorte de rage mais tournée vers l’intérieur. Je crois que tu t’es épuisée à force d’être en colère contre le monde entier, et maintenant tu retournes toute cette énergie négative contre toi.

« G’witchikwaanakwaadok. Dans ma langue, ça veut dire “qui apparaît de derrière les nuages”. Voilà qui tu es. Il faudra que tu trouves quelqu’un qui parle mieux mitchif que moi pour te dire comment on dit ça dans ta langue. »

J’ignore si je lui ai vraiment rendu visite ou si c’est un rêve ou quelque chose qu’on m’aurait raconté. C’est comme ça avec ma famille, je ne sais jamais si mes souvenirs m’appartiennent ou si ce sont des récits faits par maman, papa ou Phoenix.

– On ne peut pas échapper à son quartier, hein,

La mémoire du sang. On parle aussi parfois de la mémoire des os. On dit que tout ce qui est arrivé à tes ancêtres, tout ce qu’ils savent, de bon ou de mauvais, est déjà en toi. Dans ton sang. Donc tu sais qui tu es, même si tu penses le contraire. Tu vois ce que je veux dire ?

C’est drôle, les gens prétendent toujours agir pour votre bien sans jamais vous demander comment vous définiriez ce bien.

Margaret connaissait l’histoire de chacun, telle une liste de courses à mémoriser sur le chemin de l’épicerie

Mais en grandissant, il lui était apparu que seuls les Indiens, et les Métis, étaient pénétrés de chagrin jusqu’à la moelle des os, s’échangeaient leur désespoir comme on s’échange une recette de cuisine, et avaient la peau tissée de désolation, de rejet et de reniement. Comme si les histoires tristes constituaient le seul héritage à se transmettre.

Margaret avait essayé de cacher l’Indienne en elle, de la tuer, de passer pour une Blanche, en vain. Aux yeux du monde, elle restait une squaw. Essayer de soutenir qu’elle n’était que la moitié d’une squaw n’intéressait personne, pas même elle.

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