Bonnec, Sidonie « La fille au pair » (2025) 320 pages

Bonnec, Sidonie « La fille au pair » (2025) 320 pages

Autrice: Sidonie Bonnec, née le 25 février 1977 à Reims (Marne). Elle est journaliste, animatrice de radio et de télévision. Elle a incarné plusieurs documentaires d’immersion (Dans un monde à part, La vie la nuit), a présenté Enquêtes criminelles de 2008 à 2015 sur W9 et a animé La Curiosité est un Vilain défaut sur RTL pendant 7 ans. Depuis 2017, elle co-anime sur France 2 le divertissement culturel et quotidien : Tout le monde à son mot à dire.
 « La fille au pair » est son premier roman.

Albin-Michel – 03.03.2025 – 320 pages – Finaliste – Prix Le Point du Polar européen 2025

Résumé:
Hidden Grove, un domaine privé de la banlieue londonienne. L’immense grille noire s’ouvre sur cinq manoirs, des voitures de luxe et un parc savamment entretenu. Emmylou, une lycéenne d’origine modeste qui a fui sa Bretagne natale pour être fille au pair, a l’impression d’arriver au paradis.
Mais son quotidien se met rapidement à vaciller : le linge sale qui ne cesse de s’accumuler, des pleurs nocturnes à travers les cloisons, des prières murmurées, des rêves effroyables et cette maladie qui touche l’aîné des enfants et dont personne ne parle…
Coupée du monde, Emmylou est entrée dans un piège monstrueux. Pourquoi elle ? Comment s’échapper ?
S’inspirant de sa propre histoire, Sidonie Bonnec déploie dans ce premier roman un suspense psychologique oppressant, où derrière les faux-semblants d’une famille idéale se cache la folie la plus noire.

Mon avis:
C’est par curiosité que je me suis lancée dans la lecture de ce roman. j’aime bien suivre le jeu « Tout le monde à son mot à dire ».  Je savais que l’autrice avait été au pair à 22 ans en Angleterre, que l’expérience avait été traumatisante, et qu’elle avait pu s’échapper alors qu’elle courrait un danger dans la famille où elle était.
Et si elle n’avait pas pu s’échapper ? L’imagination de la romancière a fait le reste… Et nous  entraine dans ce qui aurait pu se passer … Bonjour le cauchemar!
Le roman commence doucement, peut-être un peu trop lent à démarrer à mon goût mais ensuite tout s’accélère une fois le décor mis-en-place. Derrière le thriller, une expérience de jeune fille au pair qui va virer au cauchemar. Le monde dans lequel on vit, même si il peut sembler un peu misérable est-il pire qu’une immersion chez des riches et leur monde cloisonné?
Emmylou, qui rêve de devenir journaliste et veut apprendre l’anglais va suivre les conseils d’une camarade de classe et postuler pour un job d’au pair dans une famille huppée dans les environs de Londres suite au suicide de sa meilleure amie; une amitié broyée mais dont le fantôme accompagnera toute la vie de cette jeune fille et la soutiendra dans les moments difficiles.
On est à la fin des années 90, et elle va se retrouver dans un monde qui est en fait un domaine avec 5 maisons – 4 habitées –  dans un univers clos. Déstabilisation et insécurité sont les maitres sentiments ressentis. L’argent est domination, la classe sociale écrase tout..
Plus les jours passent et plus le malaise s’installe… D’abord diffus, puis de plus en plus pesant… Un environnement toxique, des façades plus que des êtres humains, un secret qui enveloppe tout… On se sent pris à la gorge, tout comme la jeune fille, pris au piège derrière les grilles de cet environnement luxueux…
Excellent premier roman qui met l’accent sur l’importance des relations parents-enfants et l’importance des liens et de la communication entre les êtres. 

Extraits: 

En cours de philo, on étudie ça, la notion du temps et ces questions tout à fait pertinentes : dans quelle mesure le temps nous appartient-il ? En quel sens peut-on dire que l’homme ne vit pas que dans le présent ? Le temps est-il pour l’homme une limite ? Le temps est-il notre ennemi ou notre allié ? Mais qui a le loisir de se poser ces questions ? Et d’y répondre ? Chez nous, la seule réponse qu’on a c’est : J’ai pas le temps. 

 La salle de bains est immense, inondée de lumière, tout est assorti, la baignoire sur pieds, les toilettes, the washbasins, « les vasques » (j’ai appris en feuilletant les magazines de déco aux W.-C. que les riches ne disent pas sinks, « lavabos »). La faïence blanche contraste avec la couleur linen, « lin », du sol et des serviettes (les riches ne disent pas « beige » non plus). Je me réjouis d’apprendre deux langues : l’anglais et le riche. 

Ton suicide a tout déchiqueté, je ne sais pas comment recoudre ça. 

je veux être journaliste depuis que j’ai neuf ans, c’est pour moi un moyen de vivre d’autres vies que la mienne.

Le malaise s’insinue dans tout ce que l’on ne me dit pas. Peut-être est-ce par pudeur, pour ne pas m’encombrer, par oubli ou par mépris, quel intérêt qu’elle sache ça ? Le doute aime bien ces interstices, il y coule comme un poison lent, puis sèche et reste là. 

Je pensais pouvoir m’intégrer et connaître la famille, adopter leurs codes, pourtant chaque jour m’enfonce dans un brouillard et une insécurité nouvelle. 

Ils ont un caractère différent et, pourtant, ils se ressemblent, sans doute les effets d’une longue vie de couple, un certain mimétisme. Ils sont tous les deux bruns et longs. Oui, ce sont des gens longs. Je dis ça parce que mes parents, par exemple, sont bas et trapus. On dirait deux commodes.

Voilà ce que l’on découvre en vivant seule, seule parmi les autres : chaque jour est une nouvelle chance, chaque mauvaise journée est nettoyée par la nuit, cette pause obligatoire dans ton calendrier, même si tu n’en veux pas, même si tu n’as pas le temps, la nuit est là. Et même si la journée a été bouleversante, ennuyeuse, ratée, même si ta vie semble fichue, irrémédiablement fichue, grâce à la nuit, ta vie est sauvée. En tout cas, l’image que tu en as. Je ne sais pas ce qui se passe dans mon cerveau pendant mon sommeil, j’ai l’impression qu’une bonne fée s’agite pour endormir le moisi, la merde, le pourri, et qu’au réveil, tout semble plus doux, plus raisonnable. Toi, tu te souviens que ça a foiré, basculé, tu te souviens du bizarre, de ce qui t’a alertée, tu t’en souviens, mais tu acceptes le voile que Clochette a posé dessus, parce que sinon tu ne te lèverais pas ce matin, ou tu te jetterais par la fenêtre grande ouverte au-dessus de ton lit.

Ça coûte tellement cher, une fille au pair… Une poignée de livres, de l’argent de poche contre une servitude vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je suis écœurée, envie de faire demi-tour et de lui rentrer dedans. Les pauvres me faisaient chier en Bretagne, mais les riches, c’est pas ma came non plus, pourtant je reste l’animal docile que je suis devenue ici. Je reviens sur mes pas et je retourne à la niche.

Pour échapper à mon angoisse, je me plonge dans ce roman où tout est pire que ma vie, cette histoire qui me réconforte : American Psycho.

Des phrases en cascade, des exclamations bruyantes, excessives, des fiertés exhibées, mais pas d’échanges, ni de discussions. On n’a rien à se dire, mais on se le dit. On brasse chacun dans sa ligne, des longueurs interminables. 

Les murs d’une prison invisible se sont érigés autour de moi. Personne ne les touche, mais tout le monde les évite.

Le silence, le noir, tout m’oppresse. J’ai un goût âcre dans la bouche, je me lève pour boire de l’eau, je ne savais pas que la peur avait une saveur, elle a contaminé chacune de mes papilles.

J’essaie de me concentrer sur ce nouveau roman de Jay McInerney, Glamour attitude : paillettes et cynisme dans le showbiz. Je ne veux pas penser à tout ce que j’ai découvert. Je n’entre pas, je reste à fleur d’histoire, les mots qui d’habitude me saisissent me font l’effet d’une armée de caractères réfractaires qui protègent furieusement leur monde. Je n’y arrive pas.

J’entends le mot « suicide ». Un mot facile à susurrer, il glisse tout seul, avec ses « s » et ses « i », une symphonie macabre

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